Malgré le divertissement qu’elles peuvent procurer aux amateurs, les équipes de sport professionnel sont d’abord et avant tout des entreprises avec des revenus et des dépenses. Elles obéissent cependant à des règles assez particulières quand vient le temps de déterminer leur valeur. Bienvenue dans le monde des « super-riches » où le prestige l’emporte (parfois) sur le sens commun.
Tout est hors de proportion quand on considère le sport professionnel : du salaire des joueurs aux revenus générés par les droits de diffusion, les quatre principales ligues de sport professionnel en Amérique du Nord (voir encadré), même si elles sont de taille bien différentes, « brassent des grosses affaires ».
Des revenus impressionnants…
L’octroi de nouveaux contrats de télévision permettant la diffusion du sport professionnel (1) fait souvent la manchette en raison des montants considérables en jeu : 9 milliards de dollars USD par an en moyenne pour la NFL (2); 2.6 milliards (USD) pour la NBA; 1.6 milliards (USD) pour la MLB et, fermant la marche, 600 millions (USD) pour la LNH (puisqu’elle comprend des équipes au Canada et aux États-Unis, la LNH a négocié des ententes distinctes avec des réseaux américains et canadiens).
À noter que plusieurs de ces ententes prennent fin en 2022 et doivent être renégociées. Généralement, la transition d’une entente à l’autre se fait sans accrocs (même lorsqu’il y a changement de réseau), mais COVID-19 est venu bouleverser « l’économie » du sport professionnel : la valeur des droits de diffusion est fonction de la taille de l’audience et cette mesure a perdu de sa fiabilité lorsque COVID a vidé les stades et contraint une bonne partie de la population à demeurer chez elle. Alors qu’on commence à retrouver un semblant de « vie normale », on peut s’attendre à la reprise des négociations en vue d’en arriver à la conclusion de nouvelles ententes, qui devrait prendre effet vraisemblablement vers 2024.
Même si elles représentent une part importante des revenus générés, les redevances provenant des droits de diffusion ne sont pas les seules sources de revenu des équipes de sport professionnel. En effet, la vente de billets aux spectateurs qui désirent assister à un match en personne (ce qu’on appelle Gate Revenue, en anglais) permet également de générer des sommes considérables (3), comme en témoigne les chiffres suivants pour l’année 2020 (montants en milliards USD) : NFL (2.2); MLB (2.7); NBA (1.6) et LNH (1.6).
Si on ajoute d’autres revenus secondaires comme la commandite (la présence de logos sur le chandail des joueurs, par exemple) ou la vente de marchandise aux couleurs des équipes (on songe surtout aux chandails, casquettes et autres articles qui permettent d’afficher publiquement son soutien pour une équipe), les revenus totaux annuels ont de quoi faire des envieux : en 2019, la LNH a généré des revenus totaux de 5.09 milliards USD, la NBA des revenus de 8.76 milliards USD, la MLB des revenus de 10.7 milliards USD et, comme il fallait s’y attendre, la NFL vient en tête de lice avec des revenus de 16 milliards USD (4).
…et des dépenses considérables
Pas de sport professionnel sans athlètes et ce n’est donc pas une surprise que ces derniers représentent la principale dépense des ligues en Amérique du Nord. En règle générale, environ 50 % des revenus annuels des diverses équipes sont consacrés aux salaires des joueurs. Un bémol cependant : ce pourcentage comprend les pénalités encourues dans certaines ligues lorsqu’une équipe dépasse le montant du plafond salarial (5).
Le reste des dépenses des équipes comprennent les dépenses liées aux relations publiques, à la gestion de l’équipe ou à l’entretien du stade (ou de l’aréna), lorsque l’équipe en est également propriétaire. À noter que, malgré les revenus parfois exorbitants, il arrive que des équipes connaissent des années déficitaires.
Pour faire des jaloux (et de l’argent)
L’économie du sport se démarque vraiment quand vient le temps de déterminer la valeur des équipes. C’est le moment où il faut laisser toutes vos notions de comptabilité au vestiaire car cette valeur semble parfois défier toute logique. Par exemple, en septembre 2017, l’équipe des Marlins de la Floride de la MLB a été vendue pour une somme de 1.2 milliards USD en dépit du fait qu’elle ait affiché une perte d’exploitation de 2.2 millions USD l’année précédente (ce qui représentait la troisième année de perte au cours des cinq années précédant la vente). Toute autre entreprise avec un bilan aussi peu reluisant aurait eu de la difficulté à trouver preneur.
Comment expliquer alors que les acheteurs potentiels se livrent parfois une lutte féroce pour la chance de se procurer une équipe de sport professionnel ? Deux raisons principales motivent les acheteurs : pour un, il y a beaucoup plus d’acheteurs potentiels que d’équipes et le marché en est un où l’offre n’est pas en mesure de satisfaire la demande. En effet, alors que le nombre de milliardaires à l’échelle globale s’accroît d’environ 10% par an (on en comptait environ 2 700 en 2022) (6), il n’en est pas de même du nombre d’équipes de sport professionnel en Amérique du Nord qui, malgré certains ajouts périodiques, se situe à 124 à l’heure actuelle, un nombre qui demeurera vraisemblablement stable au cours de la prochaine décennie (l’Europe compte aussi plusieurs clubs prisés, notamment au soccer). En raison de l’effet conjugué de cette rareté relative des équipes et du nombre croissant d’acheteurs potentiels, on assiste à une surenchère (c’est-à-dire un écart entre le prix d’achat et la valeur réelle) lorsqu’une équipe est mise en vente. Les acheteurs d’équipes de sport professionnel sont généralement des individus qu’on pourrait qualifier de « super-riches » et pour qui la propriété d’une équipe peut aussi être source de fierté ou de prestige (pour faire partie du club très sélect des propriétaires d’équipes de sport). Les parallèles avec le marché des super-yachts (toujours plus gros, toujours plus chers, pour rivaliser avec les autres milliardaires) sont nombreux et évidents.
Au-delà de la rareté et du prestige, devenir propriétaire d’une équipe de sport professionnel est une proposition alléchante pour l’acheteur qui a les reins solides et qui peut tolérer une ou plusieurs années de pertes sèches. En effet, la véritable valeur d’une équipe n’est pas tant déterminée par les revenus ou dividendes qu’elle est susceptible de générer au fil des ans (une méthode très courante quand vient le temps d’établir la valeur d’une entreprise, mais qui ne trouve pas application en matière de sport professionnel), que par le prix de revente qui sera presque toujours un multiple du prix d’achat. Selon le nombre d’années qui s’est écoulé entre l’achat et la vente, un acheteur peut doubler ou tripler sa mise (voire même plus : Jerry Jones, propriétaire des Cowboys de Dallas de la NFL a fait l’achat de l’équipe pour la somme de 140 millions USD en 1989. On estime que les Cowboys, l’équipe la plus riche, tous sports confondus, avait une valeur de 7.0 milliards USD en 2021) (7). Pensez à l’achat d’une maison dans un marché immobilier qui est toujours en croissance.
Plus près de nous
Bien entendu, le Canada étant un marché plus petit (tant en termes de population que de pouvoir économique), on y retrouve moins d’équipes dans l’une ou l’autre des quatre principales ligues. Pas de surprises alors que Toronto, la plus importante métropole au pays, compte le plus grand nombre d’équipes (trois) et qu’elle soit représentée dans chacune des ligues, hormis la NFL. Quant aux autres villes canadiennes, il n’est là aussi pas surprenant de constater que seule la LNH (hockey) compte des équipes au Canada. Outre la ville de Toronto, déjà mentionnée, on retrouve des équipes de la LNH à Montréal, Ottawa (l’équipe est présentement à la recherche d’un nouveau propriétaire. Avis aux acheteurs intéressés), Winnipeg, Calgary, Edmonton et Vancouver.
Vancouver comptait jadis une équipe de basketball de la NBA (les Grizzlies), mais l’équipe n’a pas fait long feu dans notre province : après leur saison initiale en 1995, les Grizzlies ont été vendus à un acheteur américain en 2001, puis l’équipe a été relocalisée à Memphis, au Tennessee, où elle continue toujours ses opérations. Le propriétaire des Grizzlies à l’époque (Orca Bay Sports) avait mentionné la faiblesse du dollar canadien et le manque d’enthousiasme de la part de la population locale comme principaux facteurs justifiant la vente.
En Colombie-Britannique, il ne reste alors que les Canucks de Vancouver qui, selon le magazine Forbes, avaient une valeur de 825 millions USD en 2021. L’équipe de hockey dont la valeur est la plus élevée demeure les Rangers de New York (marché oblige) avec une valeur de 2 milliards USD en 2021 (8), une somme considérable, mais qui confirme néanmoins que la LNH vient au dernier rang en terme de valeur, loin derrière la NFL (équipe dont la valeur est la plus élevée : Cowboys de Dallas, 7 milliards USD), la NBA (Warriors de Golden State, 7 milliards USD) et la MLB (Yankees de New York, 6 milliards USD).
On pourrait dire que le hockey est le parent pauvre du sport professionnel en Amérique du Nord, mais ce terme demeure très relatif dans le monde des « super-riches ».
Ces quatre ligues sont les suivantes (sport et nombre d’équipes entre parenthèses) : La LNH (hockey, 32 équipes), la NBA (basket-ball, 30 équipes), la MLB (baseball, 30 équipes) et le colosse du sport professionnel en Amérique du Nord, la NFL (football américain, 32 équipes).
Puisque ces ligues sont toutes américaines, la grande majorité des équipes se situent dans des villes américaines, avec quelques villes canadiennes. Onze villes (ou régions métropolitaines) américaines sont représentées dans chacune des ligues, alors que deux villes (New York et Los Angeles) possèdent au moins deux équipes dans chacune des ligues.
Publiée par la Société de développement économique de la Colombie-Britannique, la série de dossiers « L’économie déchiffrée » vise à mettre en relation plusieurs données statistiques liées à l’économie de la Colombie-Britannique dans le but de mieux outiller sa clientèle afin qu’elle comprenne davantage les défis présents et à venir.
Notes :
(1) : Le « produit » principal des ligues de sport professionnel demeure le spectacle des équipes qui s’affrontent ainsi que l’imprévisibilité du résultat. Les grands réseaux de télévision doivent payer pour avoir le droit de diffuser ce spectacle. Généralement, chaque ligue cède ses droits à un seul réseau pour une période déterminée (qui peut varier entre 5 et 10 ans, voire même plus). Le réseau utilise alors ce produit pour vendre des espaces publicitaires, dont la valeur va elle aussi varier selon le marché et la popularité du sport. En Amérique du Nord, on pourrait dire qu’il y a la NFL (qui domine à tous les chapitres, peu importe les mesures considérées), puis les autres ligues.
(2) : On ne manque pas d’appétit pour la NFL chez nos voisins du sud, ce qui permet à la ligue de vendre des « forfaits » différents à plus d’un réseau : matchs du lundi soir, matchs de la conférence Nationale, matchs de la conférence Américaine, etc.
(3) : Le prix des billets varie généralement d’un sport à l’autre et d’une équipe à l’autre, souvent en fonction de la taille du marché (pensez aux différences entre New York et Winnipeg, par exemple). Au-delà du prix (qui est établi avant le début de la saison), la performance d’une équipe pendant la saison va déterminer si on joue devant salle comble ou dans un stade presque désert.
(4) : https://dailygazette.com/major-professional-sports-leagues-the-us-canada/
(5) : un autre concept propre au sport professionnel, le plafond salarial est une mesure adoptée par plusieurs ligues pour éviter que les équipes plus riches « achètent » les joueurs les plus talentueux au détriment des plus petits marchés qui ne sont pas toujours en mesure d’offrir des salaires aussi élevés. Pour rétablir un équilibre des forces entre les équipes, on détermine généralement un plafond salarial qui est le montant maximal qu’une équipe est en mesure de dépenser en matière de salaires versés aux joueurs. Ce plafond peut être immuable (hard cap, en anglais) ou flexible (soft cap, en anglais). Dans les ligues où il existe un plafond salarial flexible (notamment la NBA), les équipes qui dépensent au-delà de cette limite salariale doivent payer une pénalité pour avoir enfreint le montant maximal prévu (luxury tax, en anglais). Cette pénalité peut s’élever à plusieurs millions de dollars par an.
(6) : https://www.forbes.com/billionaires/
(7) : https://www.forbes.com/sites/mikeozanian/2021/05/07/worlds-most-valuable-sports-teams-2021/?sh=7c1656853e9e
(8) : https://www.forbes.com/sites/mikeozanian/2021/12/08/nhl-team-values-2021-22-new-york-rangers-become-hockeys-first-2-billion-team/?sh=6fd0f1db360c